Je suis très occupée en ce moment par mon travail, ce qui est toujours une bonne nouvelle, mais aussi parce que je déménage à la fin du mois. Ce déménagement et son cortège d’inévitables formalités ont inspiré le thème de ce billet. Quel rapport entre un traducteur et un déménageur me direz-vous ? L’un se sert de ses muscles pour exercer son métier, l’autre de ses neurones (oui je sais, c’est très simpliste, mais bon), donc il existe a priori peu de points communs entre ces deux activités, et pourtant…
Le déménageur, comme le traducteur, a affaire à des clients qui lui confient ce qu’ils ont de plus précieux (leurs possessions / leurs mots) et ne peuvent compter que sur son seul professionnalisme pour en assurer le transfert sans encombre. Le déménageur comme le traducteur est tributaire de son client pour assurer le maintien de sa réputation, le meilleur moyen de pérenniser son activité. Pour l’un comme pour l’autre, tout se joue donc sur la qualité du service (et non sur le tarif quoi qu’en pensent la plupart des professionnels concernés).
Étude de cas (ce qu’il ne faut surtout pas faire)
Lorsque je me suis mise en quête du déménageur de mes rêves, j’ai commencé par faire appel à mon réseau. Deux copines ayant déménagé au cours des années précédentes m’ont recommandé la même entreprise (appelons-la BR pour Bonne Réputation SA), mais il me fallait absolument trois devis. J’ai donc appelé deux grandes entreprises de déménagement (Concurrent A et B) et pris rendez-vous avec chaque prestataire pour établir un devis.
Fidèle à son excellente réputation, BR me fixe un rendez-vous la même semaine. Mon interlocuteur est le responsable de l’agence en personne. Il se rappelle très bien de mes amies (y compris leur nouveau lieu d’habitation et l’entreprise pour laquelle elles devaient déménager, chapeau !), me pose de nombreuses questions pertinentes, et me propose plusieurs solutions pour me simplifier la tâche sans chercher à me vendre des services dont je n’ai pas besoin. Une fois la visite terminée, je reçois un devis dans les 24 heures et le prestataire me rappelle dans la foulée pour savoir si j’ai des questions. Bref, excellent contact, je suis prête à signer les yeux fermés, mais il me faut trois devis…
Concurrent A arrive la semaine suivante. Le commercial a 10 minutes de retard parce qu’il s’est trompé de route. Comme BR, il fait le tour de la maison, évalue le cubage (beaucoup moins important) et me propose différentes prestations. La visite se passe plutôt bien, mais quand je lui fais part de mon inquiétude de devoir attendre encore une semaine pour obtenir un devis d’un troisième prestataire, les choses se gâtent…
Il m’explique alors que ce type de pratique est monnaie courante dans le secteur : lorsqu’un client est pressé, certains déménageurs (ceux qui ont les plus grandes équipes en général) n’hésitent pas à établir un devis le plus tard possible pour que leurs concurrents ne puissent plus garantir la date et remporter ainsi le contrat. Ah bon ? Mais c’est que c’est un peu malhonnête ce genre de choses ! Le secteur du déménagement serait-il un univers impitoyable digne d’un ranch texan ? Profitant de mon désarroi et de ma volonté d’aller vite, le commercial de Concurrent A me propose d’annuler mon rendez-vous tardif avec Concurrent B pour qu’il se charge lui-même de « demander à un de ses concurrents de me fournir un troisième devis ». À un de ses concurrents ? Je m’interroge sur cette drôle de pratique, mais je décide de tenter le coup pour voir. « De toute façon, ils seront plus chers que nous ! » m’annonce fièrement le commercial. Bizarre… Je reçois le devis du fameux concurrent mystère (Concurrent C) par e-mail l’après-midi même, mais surprise, leur tarif est moins élevé que l’estimation de Concurrent A et le cubage (calculé d’après la fiche du commercial A) est plus élevé et correspond à celui de BR !
48 heures passent, je n’ai toujours pas reçu le devis définitif de Concurrent A. J’appelle, je laisse des messages, j’envoie un e-mail, et je suis finalement recontactée par le commercial trois jours plus tard. « Vous n’avez pas reçu notre devis ? Françoise a dû oublier, elle est nouvelle, vous savez ! ». Aucune excuse et un bouc émissaire à jeter sous le bus (pauvre Françoise), j’adore ! Un peu énervée, j’en profite pour faire remarquer perfidement que leur devis est le plus élevé des trois et qu’ils se sont apparemment plantés dans l’estimation du cubage. « Non, je ne pense pas. Je ne me trompe jamais dans ce type d’évaluation ». Surtout ne jamais admettre une éventuelle erreur… toujours plus fort ! « Ne vous inquiétez pas, on va s’arranger… j’en parle à mon chef et je vous renvoie un devis. »
Et là, cher lecteur, je te le donne dans le mille. Je reçois coup sur coup, un nouveau devis de Concurrent A, beaucoup plus bas (pourquoi ?), ET un nouveau devis de concurrent C (le concurrent mystère que je n’ai jamais rencontré), beaucoup plus haut !!!! Je fais donc ce qu’un client a de mieux à faire dans cette situation : 1) je m’étrangle de rire, 2) je rappelle BR et je lui annonce que je lui confie le contrat.
POURQUOI CONCURRENT A, QUI EST POURTANT LE MOINS CHER DES TROIS PRESTATAIRES, A-T-IL PERDU CE CONTRAT ?
- Parce que je n’arrive pas à le joindre quand j’ai besoin de lui : manque de disponibilité.
- Parce que son prix n’est pas transparent : manque de rigueur.
- Parce qu’il se valorise en critiquant ses concurrents, plutôt qu’en mettant en avant ses propres qualités : manque de professionnalisme.
- Parce qu’il est incapable d’effectuer une simple opération correctement (calcul de cubage) : manque de savoir-faire.
- Parce qu’il est prêt à tout, y compris à manipuler son client, pour remporter un contrat (le mystérieux Concurrent C n’est pas un de ses concurrents, mais une entreprise affiliée. J’ai vérifié.) : manque d’éthique.
Plaidoyer pour la qualité (ce qu’il faut absolument faire)
Vous l’avez compris, si la qualité du service est si essentielle pour qu’un déménageur fasse des affaires, le traducteur doit également en faire une priorité. Des études récentes ont montré que même en période de crise, les clients placent aujourd’hui le service au cœur de leur décision d’achat. Le prix ne fait pas tout, et si vous ne voulez pas rejoindre les légions de traducteurs acceptant d’être payés en cacahouètes par des clients qu’ils finissent par détester, concentrez-vous sur la qualité de vos services et le bouche-à-oreille fera le reste…
Mais qu’entend-on exactement par qualité de service, en général et dans le domaine de la traduction en particulier ? Pour faire simple, le service est la capacité de professionnels compétents, expérimentés et enthousiastes de répondre aux besoins (clairement exprimés ou non) de leurs clients. D’après diverses enquêtes et l’expérience de votre servante, en matière de traduction, les besoins des clients sont les suivants :
-
Qualité
C’est le minimum. Pour satisfaire vos clients, offrez-leur des services de traduction de qualité, comprenant bien sûr une relecture irréprochable. Tout ce qui a trait à votre entreprise doit refléter cette démarche : votre façon de vous présenter, de communiquer, votre démarche de formation continue, etc.
-
Respect des délais
On ne le répètera jamais assez, le respect des délais est le premier commandement du traducteur. À partir du moment où vous donnez une date de livraison, vous devez tout faire pour la respecter, même si cela vous oblige à travailler non-stop sans manger, ni dormir parce que vous avez calculé trop juste (ça arrive) ou qu’un client plus rémunérateur vous sollicite entre temps (ça arrive aussi). Les délais ne sont pas les seuls engagements que vous devez respecter : pour paraphraser un vieil adage, dites ce que vous faites et faites ce que vous dites !
-
Communication
Comme vous travaillez sans doute loin de vos clients, une bonne communication est la clé de voûte de votre relation. Répondez dans un délai de 24 h maximum à TOUS les messages qui vous sont adressés. Prenez le temps de discuter avec vos clients au début de chaque projet pour bien comprendre à qui votre texte sera destiné, quels sont leurs impératifs et les contraintes à respecter. En cas de problème ou si vous avez un doute, contactez-les au lieu d’improviser, il vaut mieux établir clairement les choses, plutôt que de devoir gérer d’éventuelles plaintes. Un client normal préfèrera toujours un professionnel qui pose des questions à celui qui n’en pose aucune, mais fait tout de travers.
-
Écoute
La communication s’entend dans les deux sens : dire, mais aussi écouter. Rien n’est plus agaçant pour un client que de devoir se répéter. Pour éviter de le rappeler inutilement, prenez des notes. Respectez scrupuleusement ses consignes et soyez attentifs aux petites phrases pouvant révéler un doute ou une inquiétude pour y répondre au plus vite. En cas de conflit, ne cherchez pas d’excuse ou de Françoise à sacrifier, assumez vos erreurs et proposez une solution. Comme le conseille Sara Freitas, bannissez les mots « non » et « impossible » de votre vocabulaire.
-
Plus-value
Dans la mesure du possible (et du raisonnable), essayez toujours d’en faire un peu plus pour vos clients. Ce petit plus peut prendre différentes formes : vous libérer pour travailler à fond sur un projet crucial (n’oubliez pas d’augmenter vos tarifs en conséquence), lui envoyer des coupures d’articles sur son secteur parus dans la presse française, un petit message pour le féliciter du lancement de son nouveau site web ou l’obtention d’un contrat important, etc. L’ensemble de ces petites attentions apportera une pierre à l’édifice de votre relation, et plus cet édifice sera solide, moins vous aurez besoin de lutter pour imposer vos tarifs.
En résumé, déménageur ou traducteur, proposer un service de qualité, c’est inspirer confiance et par là même fidéliser sa clientèle. Et vous, quelle importance attachez-vous à la qualité de votre service et que faites-vous pour satisfaire vos clients ?
L'autrice
Gaële Gagné est traductrice indépendante depuis plus de 15 ans et dirige Trëma Lingua, une société proposant des services de traduction rédactionnelle (marketing et communication) de l’anglais vers le français.
Fondatrice de Tradupreneurs, elle partage sa passion pour l'entrepreneuriat avec ses confrères et consœurs pour leur permettre de s'investir pleinement dans cette sphère essentielle de leur activité.
Découvrez d'autres articles
Se fixer des objectifs pour réussir
« Gouverner, c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte ». Cette citation d’Émile...
5 questions sur la CFE
Les entreprises, comme les particuliers, sont redevables de différents impôts. Nous avons déjà...
À qui appartient votre mémoire de traduction ?
Une mémoire de traduction peut devenir l’enjeu de négociations serrées entre un traducteur et son client lorsqu’il s’agit de déterminer à qui elle appartient. D’ailleurs, à qui appartient-elle véritablement ?
10 leçons à tirer des JO de Paris 2024
Gagnée par la même ferveur que le public des Jeux olympiques de Paris 2024, j’ai été inspirée par les efforts des sportifs, leur maîtrise et leur détermination. J’en retiens quelques leçons à appliquer à nos entreprises de traduction.
6 notions de droit pour sécuriser votre activité
Avoir des notions de droit dans quelques domaines clés vous permettra de sécuriser votre activité professionnelle en évitant ou, du moins, en limitant les conséquences de mauvaises surprises ou décisions.
Gestion de projets : 10 questions à vous poser avant de vous lancer
Ce mois-ci, le blog de Tradupreneurs donne la parole à Maël Blivet : traducteur et chef de projets indépendant. Dans cet article, il nous invite à nous poser les bonnes questions avant de nous lancer dans la gestion de projets linguistiques : une stratégie de diversification à envisager pour développer votre activité.