Après avoir défini ce qu’est la valeur en général et celle que nous apportons en tant que prestataire de services, voyons maintenant comment la vendre.
Mettre un prix sur ce qui relève de l’intangible et de la perception de notre clientèle cible n’est pas chose aisée. En matière de facturation, il est généralement plus simple de multiplier des unités par un tarif, mais est-ce la meilleure solution pour vous faire une place sur le marché et assurer la rentabilité de votre activité ?
1. Pourquoi le tarif au mot est une aberration
Il est évident qu’il est difficile d’éliminer la tarification au mot en traduction, surtout si vous collaborez avec des agences.
C’est l’unité de base la plus fréquemment employée, car elle répond à un besoin élémentaire : savoir à l’avance combien va coûter une traduction. Votre tarif s’affiche sur une plateforme de mise en relation ou dans la base de données d’un intermédiaire et il est facile de le comparer.
Toutefois, en facilitant cette comparaison sur le seul critère du prix, elle nous empêche de briller par notre expérience et marchandise notre savoir-faire.
En tarifant au mot/à la minute/à la ligne, etc., une grande partie de notre travail est caché : les recherches terminologiques, l’analyse du contexte, la relecture attentive et la révision soignée sont toutes comprises dans notre prix et sont donc largement ignorées par nos clients. Sans parler des années de formation et d’expérience qui vous ont permis de comprendre parfaitement le contexte et d’acquérir des réflexes qui vous permettent de produire un texte parfaitement adapté aux besoins et aux attentes.
Vous pouvez bien sûr augmenter votre tarif au mot pour y intégrer tous ces éléments, mais votre proposition sera vite écartée, car trop visiblement éloignée des autres pour qu’un prospect se donne la peine de se demander pourquoi.
Le tarif au mot masque votre proposition de valeur unique.
Pour gagner plus, il vous faudra donc travailler plus ou plus vite. Une logique productiviste qui peut être pesante et difficilement tenable à la longue.
2. Pourquoi facturer à l’heure n’est pas une solution
Bon, d’accord pour laisser tomber le tarif au mot, mais quelle alternative ? Comme beaucoup de professions libérales, vous pourriez envisager une tarification à l’heure, qui a au moins le mérite de rémunérer l’ensemble des tâches accomplies.
Cependant, cela crée une forme de subordination entre vous et votre client : ce qu’il ou elle achète, c’est votre temps, vous devez donc justifier la manière donc vous l’occupez. Chronomètre, applications intégrées ou non à vos logiciels de travail, il existe de nombreuses solutions pour calculer le temps consacré à telle ou telle tâche, mais est-ce une bonne idée d’en faire état ?
Si vous regardez le mur pendant 15 minutes en tournant une phrase dans votre tête ou si vous avez un éclair de génie dans la douche, allez-vous facturer ce temps de travail ? La réponse est généralement non : les prestataires qui facturent à l’heure ont tendance à sous-estimer et sous-facturer leur temps, alors même que leurs clients les soupçonnent de faire l’inverse.
En bref, la facturation à l’heure frustre toutes les parties concernées.
Par ailleurs, vous ne répondez pas clairement au besoin initial de votre client… Vous vous souvenez ? Celui de savoir à l’avance combien va lui coûter votre prestation. En proposant un tarif à l’heure, vous devrez donc lui donner au moins une estimation du temps nécessaire pour lui permettre d’intégrer votre prestation à son budget.
Enfin, votre compétence vous pénalise. Puisque votre spécialisation et votre expérience vous permettent de travailler plus vite, vous gagnez moins pour une tâche qui prendrait plus de temps à une personne moins expérimentée. Pour justement rémunérer votre savoir-faire, vous devrez régulièrement augmenter votre tarif horaire ce qui peut être frustrant, voire rédhibitoire pour votre client.
3. Pourquoi et comment tarifer « à la valeur »
Votre tarif définit ce que vous vendez : en tarifant au mot, vous vendez des mots au kilo et non une prestation de service intellectuel et en tarifant à l’heure vous vendez votre temps et non un résultat pour votre client.
Pour valoriser votre travail, vous devez donc établir vos devis sur la base de la valeur que vous créez, pour qu’elle soit perçue et donc déterminante dans le choix de votre prospect.
En plus de l’identifier, il faut communiquer clairement votre valeur pour qu’elle soit perçue par la clientèle que vous ciblez.
Concrètement, éliminez la multiplication nombre d’unités x tarif de vos devis pour exposer en détail votre proposition de service (description des prestations, délai de réalisation, échanges prévus, assurance qualité…) et les résultats attendus.
Faites simple et ne pensez pas que la personne destinataire sait ce qu’est une base de données terminologique, la différence entre une relecture et une révision, ou en quoi consiste la localisation. Pour qu’elle perçoive la valeur de votre travail, il faut lui présenter clairement et concrètement les bénéfices à en tirer : des profits, bien sûr, en contribuant au développement de son activité à l’international, mais aussi de la notoriété, le respect de contraintes réglementaires, de la sérénité, etc.
À titre d’exemple, voici la proposition de service de mon cabinet comptable. L’offre est un abonnement et clairement basée sur la valeur, puisque pour le prix affiché, j’aurai accès à toutes les prestations INCLUSES dans mon « pack compta-gestion-conseils » :
Convaincant, non ? Remarquez que les éléments listés font généralement partie des services attendus d’un cabinet comptable (bilan, déclarations, gestion des factures, etc.), mais présentés de cette façon (« les services qui font la différence », « vous conseiller et vous aider dans la gestion au quotidien ») vous avez l’impression d’en avoir beaucoup pour votre argent.
Pourquoi me direz-vous ? Car la communication attire votre attention sur les éléments gratuits, offerts ou plus généralement compris dans l’abonnement, et fait appel à vos émotions (quête de sérénité, besoin de confiance, peur de se tromper) plus qu’à votre raison.
La balance prix/valeur penche donc du côté le plus favorable pour nous inciter à passer à l’action (souscrire à ce service).
4. Quelques conseils pratiques
Ne fixez pas vos prix uniquement en fonction de la valeur perçue
Vos prestations ont d’abord un coût, constitué de toutes les dépenses nécessaires à votre activité (abonnements, fournitures, adhésions à des associations, etc.) ET de votre rémunération minimum (somme dont vous avez besoin pour vivre et continuer à travailler pour votre propre compte). Votre premier objectif est donc d’obtenir la totalité de cette somme, dans la limite du temps que vous souhaitez/pouvez consacrer à votre activité.
Donnez un maximum de détail
Rappelez-vous que la valeur de vos services est en grande partie intangible. Pour accepter votre prix, la cible doit percevoir cette valeur que vous vous proposez de créer pour son compte. Or, la traduction est souvent un peu mystérieuse pour les profanes. Plutôt que de vous plaindre qu’on vous prend pour un robot ou un dictionnaire sur pattes, expliquez clairement ce que vous faites et pour quels résultats.
Modifiez la présentation de vos devis
Dans cette même idée, modifiez la présentation et le calcul de vos devis. Comme nous l’avons vu avec l’exemple de mon service comptable, vous pouvez présenter votre offre autrement que sous la forme d’un tableau, surtout pour vos prestations les plus coûteuses ou vos collaborations les plus durables. Ne craignez pas d’entrer dans les détails et de mettre en lumière des éléments qui vous paraissent évidents, mais vous distinguent de la concurrence.
Faites-vous confiance !
En ayant pris soin de rédiger votre proposition de valeur unique, vous devriez avoir une bonne idée de ce qui fait de vous la solution idéale pour votre clientèle cible. Assumez votre expertise pour enfin tarifer vos services à leur juste valeur. Votre prix est trop élevé ? Plutôt que de le diviser par deux et de remettre en cause vos compétences et/ou votre choix de carrière, passez votre chemin : votre offre n’est tout simplement pas alignée avec les priorités de ce prospect ! 😉
Et vous : comment fixez-vous vos tarifs ? Au mot ? À l’heure ? À la tâche ? Si vous avez testé la tarification à la valeur, dites-nous tout… et surtout comment ont réagi vos prospects et clients !
POUR ALLER PLUS LOIN
- Série sur la valeur 1/3 — Définir la valeur en traduction (blog Tradupreneurs)
- Série sur la valeur 2/3 — Élaborer une proposition de valeur pour mieux vendre ses services (blog Tradupreneurs)
- Traduction : les mots au kilo ? (brochure de la SFT)
- Comment calculer le tarif d’une prestation de traduction (site de la SFT)
- Comment rédiger une proposition qui te permettra d’obtenir plus de clients : trucs pour les freelances et les travailleurs indépendants (blog Les mots pour vendre – Alexandra Martel)
- Ajoute un zéro (Alexandra Martel)
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